Aucun doute, les grottes tiennent une grande place dans la mémoire sermizellienne.
A ce propos, je viens de tomber, au hasard d'une lecture,sur un texte que je vous livre tout cru:
"Dans la plupart des mythes grecs, les cavernes jouent un rôle important, souvent ambivalent. Ce sont des endroits obscurs et inquiétants où habitent des monstres et des esprits mauvais (....) Mais ce sont aussi des sanctuaires où les hommes viennent faire alliance avec les dieux, capter des forces magiques, puiser des énergies nouvelles. Ce sont également des lieux où sont nés de nombreux héros et où d'autres ont été initiés, fortifiés, libérés ou métamorphosés.
Entrer dans une grotte, c'est toujours passer d'un état à un autre." (c'est moi qui souligne)
(Dans Michel Pastoureau "L'ours, histoire d'un roi déchu". La librairie du XXIe siècle. Seuil 01-07)
Celà vous parle-t-il ? A moi, oui.
Ainsi, nos sensations, nos émotions de petits découvreurs de grottes trouvent-elles leur racines et un peu de leur explication dans le passé lointain des rapports entre l'Homme et la Terre (bien avant la mythologie greque, d'ailleurs).
Remettons les pieds sur terre, ou plutôt dessous.
Pépette lance un appel pour tenter de reconstituer un plan du gouffre de Fées. Pas facile, d'autant moins que la réalité est en trois dimensions.
Pour ma part, je me souviens avoir tenté la chose plusieurs fois en rêve dans les premiers temps de mon "après-Sermizelles", soit vers 57 ou 58. En vain. Cette foutue grotte est sacrément compliquée, avec des circuits qui se divisent, se croisent, se retrouvent, en plus à des niveaux différents. Au réveil, c'était pire. J'ai renoncé.
Voici quelques repères qui aideront peut-être nos topographes de la mémoire ou, à défaut, rappelleront des souvenirs à certains.
1 Dans le porche, à gauche. Un petit boyau s'ouvre en hauteur et chemine pour ressortir, dans ce même porche, près de l'endroit ou débute le boyau d'entrée du gouffre. La progression est difficile, c'est étroit et bas de plafond au milieux de concrétions très fines. Les moniteurs spéléo qui m'ont fait découvrir le gouffre hésitaient à montrer ce bijou, à cause de la fragilité et des risques de destructions par des brise-tout, qui fréquentent aussi les grottes. Les anciens colons qui ont pris un peu de ventre peuvent toujours y envoyer leurs petits enfants, à condition de ne pas attendre trop.
2 Après un cheminement en boyau, on arrive effectivement à la fameuse corniche étroite, qu'on passe en rampant au-dessus d'un mur presque vertical. Dans l'obscurité, c'est impressionnant. A mon avis (mais je n'en suis pas sûr), c'est ce même mur qu'on appelle "mur de glaise" lorsqu'on le retrouve sur le chemin du retour et qu'on l'aborde par en bas, venant de la rivière. Heureusement, il y a quelques prises, mais il faut souvent s'y reprendre à plusieurs fois.
3 Plus loin que la corniche, le boyau s'élève. On marche debout en louvoyant autour de grandes stalagmites tronquées pour arriver dans une salle dont le sol forme une pente vers la rivière. J'avais pris l'habitude d'y faire la halte casse-croûte, avec café chauffé sur place, s'il vous plaît. On ne peut atteindre le lit de la rivière que par une sorte de goulet. Le reste du "parcours haut" jusqu'à la salle Casterets m'échappe. On peut encore descendre le cours de la rivière, les jambes dans une eau plutôt fraîche, jusqu'à sa disparition dans un siphon, par où elle rejoindrait, paraît-il, le "lac des Fées" des grottes commerciales.
4 Pour le parcours "bas", plus utilisé au retour, on peut suivre la rivière à contre-courant et sortir par l'éboulis que Pépette figure en une superbe patte d'hippopotame.
Je me suis demandé, en passant par là l'an dernier, si cette sortie, extérieure au porche, ne pourrait encore de nos jours servir d'entrée, permettant à quelque anarchiste ou analphabète (ou les deux) de ne voir ni la grille ni le panneau qui interdisent l'accès au gouffre et d'y plonger innocemment.
Ces souvenirs ne donnent qu'un idée lacunaire et peuvent comporter des erreurs. En fin de compte, ce que ma mémoire garde le plus fidèlement, ce sont des images, des sensations, des émotions. N'est-ce pas l'essentiel? Je m'accomode bien que nos grottes gardent une part de mystère.
En dernier, je ne résisite pas au plaisir de vous raconter une petite expédition faite avec Paulo Loreau, natif de Coulommier, dans les années 54 ou 55 (exactitude non garantie).
Pardon à ceux qui ont déjà entendu cette histoire. C'est ça, les vieux, ça radote un peu.
La chose avait commencé de façon très banale : deux touristes, un homme et un adolescent, suivant la visite guidée des grottes d'Acy, se signalant seulement par des pulls et shorts un peu négligés et un petit sac-à-dos. Arrivés au lac des Fées, on traîne un peu en arrière du groupe. Dès que celui-ci s'éloigne, les deux lascars planquent le sac dans un coin, allument des lampes de poche et entrent dans l'eau du lac en longeant la paroi à gauche. Bientôt, l'eau arrive aux épaules. Une fois le lac dépassé, ils continuent à marcher et soudain, c'est l'émerveillement. Une immense salle, avec au fond des amoncellements de concrétions ruisselantes, des draperies. Pas moyen de s'attarder, d'autant qu'on est trempés. Retour par le même chemin. Sauf qu'arrivés au milieu du lac, ils voient tout-à-coup la rive s'éclairer plus fort, entendent des voix. C'est la visite suivante qui déboule. Pas moyen d'échapper. Alors, tant pis, on fait les derniers mètre à la nage pendant que le guide évoque les fées du lac. Et, de la rive, du groupe des visiteurs effarés, une voix s'élève : "regardez, on dirait que c'est le fils du docteur Loreau!" Le car, il venait tout droit de Coulommiers.
L'histoire est garantie authentique, à quelques détails près. Je ne me souviens plus comment nous nous sommes expliqués avec le guide, mais cela s'est bien passé. Je crois même qu'il n'a même pas signalé l'incident à sa direction.
L'idée de ce coup provenait d'un moniteur spéléo du camp de Merry qui l'avait déjà fait.
Et bien voilà. Celui-là, pour une fois qu'il parle!