lundi 19 mars 2007

La Cure

Notre colonie de Sermizelles avait un avantage certain, elle était bordée par la Cure. Notre Cure, rivière morvandelle aux eaux légèrement troubles, avec des teintes couleur jaune et marron, parsemée de champs d'algues florissants avec un courant tantôt rapide, tantôt nonchalant, cette rivière se niche sous des voûtes d'arbres la rendant plus mystérieuse: lieu de nos aventures et de nos exploits.

Après avoir construit avec des cailloux de la rivière et du bois notre barrage sur la Cure, nous nous mettions à rêver de radeaux. Alors nous sollicitions le garagiste de la Patte d'oie pour quelques bidons sans huile et des cageots vides récupérés chez le Père Louis pour construire notre radeau, quelquefois des fagots de roseaux nous garantissaient une certaine flottabilité.








Non, ce n'était pas le radeau de la Méduse mais celui des copains d'abord car il en fallait du courage pour affronter la Cure sur ce rafiot de fortune. Pour couronner-le tout un petit tour à la flibuste nous permettait de trouver un bandeau, un maillot, un pavillon de jolly roger dans ces coffres de déguisements et nous devenions des pirates ou des corsaires suivant l'humeur du moment.

L'exploit était de parcourir quelques mètres sur cet engin fait de bric et de broc ou de rallier l'îlot presque en face du lavoir, nous étions alors heureux de cette construction bien précaire et notre imagination faisait le reste.









Pour d'autres les plus grands, la rivière résonnait des clameurs et des bruits de pagaies sur les flancs des canoês et du clapotis des esquifs. Un étrange bateau venait de faire son apparition à la colo soulevant l'intérêt général, c'était le kayak Art sioux couleur orange et toile caoutchoutée, fragile de par sa conception, mais redoutablement maniable pour celui qui le maîtrisait, alors nous entendions des mots nouveaux comme esquimautage, jupe d'étanchéité, pagaie double...Nous admirions les grands dans leurs embarcations et souvent le mono donnait de la voix "écarte ou appel", ne râcle pas la pagaie sur le bord du canôë (j'entends encore Gilbert)! L'apprentissage était plus difficile, l'aboutissement et la maîtrise consistaient à oeuvrer en solo sur le canoë à la grande baignade devant les colons ébahis, et le respect de l'autre était alors considérable.

D'autres enfants plus calmes s'adonnaient à la pêche, tout était facile: une branche droite de noisetier coupée avec le canif, une ligne achetée chez la Mère Caramel ( nous en reparlerons), quelques cailloux soulevés pour récupérer des porte-bois (appâts), et les plus adroits d'entre nous pouvaient espérer une friture de poissons. Le calme relatif du pêcheur était souvent interrompu par les rires et les jeux des baigneurs dans le lavoir, ainsi allait la vie sur les bords de la Cure.









Après un apprentissage plus ou moins long suivant les individus, le grand moment était de prouver que l'on savait nager, il suffisait de partir du pied du pont jouxtant le mur d'enceinte de la colo et d'arriver au lavoir sans reprendre pied, sous les acclamations des colons répartis sur le parcours. C'était le passage obligé pour être déclaré "sachant nager " et ensuite nous devions confirmer notre exploit en traversant la grande baignade. L'annonce (du ou des nouveaux nageurs) était officialisée par Pahlou lors des veillées et nous pouvions alors prétendre seulement monter sur un canoë. Nous venions dans cette colonie pour un mois, et avec fierté nous rentrions chez nos parents en s'exclamant : je sais nager ! Il faut reconnaître qu'à l'époque savoir nager n'était pas courant. Je voulais décrire quelques moments de bonheur sur les bords de cette Cure enchanteresse et merveilleuse.

Roger, l'ayack nageur

6 commentaires:

  1. Bravo Roger pour ton texte magnifique sur notre belle cure. C'est trés vivant,et effectivement savoir nager était un but pour beaucoup.
    Cela évoque tant de bons souvenirs. Quoique l'eau au lavoir le matin était tout de même trés froide,mais nous ne sentions plus cette fraîcheur après quelques plongeons bien à plat. C'est grâce à la poétesse Marie Noelle que nous lui devons le qualificatif de "brune",c'est juste,elle est joliment brune notre cure.

    Rédigé par: Jacques Dozier

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  2. Merci Roger pour cette belle description de notre Cure. Je suis de ceux qui ont appris à nager à Sermizelles (en 1952 ma première année de colo, j'avais 11 ans !)entre les mains directes de Pahlou. Il me balançait depuis le plongeoir pour que je fasse des progrets rapides avec l'élément liquide, pour que je puisse rejoindre sur les bâteaux, mon pote Pépette, qui lui, le petit verni, s'avait déjà nager en arrivant à la colo !
    Bises à tous,
    Gégé

    Rédigé par: Gég

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  3. Roger,te souviens-tu et vous aussi les anciens colons,de l'honneur qui nous était fait lorsque nous étions déclarés "sachant nager" car alors à la fin de notre séjour, étaient placardés dans l'entrée du chateau les noms des tout "nouveaux nageurs", quelle fierté! merci encore à notre cher Palhou...

    Rédigé par: genevievedozier

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  4. Cher Roger, quel don de conteur: d'ailleurs en lisant on se voit assis au bord de la Cure en train d'observer tout ce qui s'y passe tellement les scènes que tu nous décris sont vivantes, bravo et merci à toi pour de si bons souvenirs et la photo de Palhou pagayant en souplesse! très belle celle de la Cure Jean Michel, vous êtes deux "mecs" géniaux!!

    Rédigé par: genevievedozier

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  5. La photo avec les enfants jouant dans l'eau est très significative du mode de vie dans cette colo. On y reconnaît Yoyo entre autre, et on y voit un des fameux radeaux ou embryon de radeau fait avec les cageots à légumes du Père Louis.
    Mais les activités nautiques ne se sont pas limitées à la commune de Sermizelles. On s'est même risqué à aller pagayer dans des endroits où "la main de l'homme n'avait pas encore posé le pied ", pour reprendre une célèbre expression de Pahlou ! Qui se souvient de l'Ile déserte sur le lac de Chaumesson (me semble t'il ...!), des descentes du Cousin ... qu'est-ce qu'on était content de voir se profiler le pont de Blannay, car je me souviens de certaines fois, ou par manque d'eau il fallait porter les bateaux, et bien, croyez-moi ... c'était pas de la tarte ! Mais qu'est-ce qu'on était heureux !
    Bravo pour ton article, Roger, c'est de la belle ouvrage !

    Rédigé par: Jean-Michel Marchon

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  6. Merci,Jean-Mi pour les photos, nous pouvons ainsi nous projeter dans l'univers de la Cure et retrouver des sensations.
    Roger

    Rédigé par: rbsermizelles |

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