vendredi 19 janvier 2007

Le Père Leleu (suite et fin)

Le père Leleu (1836 / 1913) : " Gardien des grottes de Saint-Moré "

Avant la première guerre mondiale, il était de bon ton, pour qui passait dans la région de St. Moré et l'Avallonnais, de rendre visite au troglodyte de Saint-Moré : Le Père Leleu.

Pierre-François Leleu a passé la fin de son existence à Saint-Moré : Il était âgé de 50 ans lorsqu'il est arrivé dans l'Yonne en 1886. Il faut bien reconnaître qu'avant cette date, on ne connaît de lui que ce qu'il a bien voulu dire. Beaucoup de " blancs " dans son existence qui sont bien difficiles, aujourd'hui à combler. Le personnage ayant beaucoup d'imagination, comment démêler le vrai du faux. Ce que l'on sait avec une quasi certitude, c'est qu'il est né à Paris en 1836. Bref! J'ai déjà évoqué cette partie de sa vie…! Poursuivons donc ! … Il est mort voilà bientôt 95 ans : son souvenir est resté bien vivant. A Saint-Moré bien sûr, mais aussi dans l'Avallonnais et l'Auxerrois.

Il est vrai que ce personnage sortait de l'ordinaire. Pendant 27 ans, il a habité à flanc de falaise dans une grotte accessible au moyen d'une corde à nœuds. Il était devenu une véritable attraction. On venait de loin pour visiter " l'ermite ".
















Pierre-François Leleu n'a pas été le premier à trouver asile dans les grottes dont est truffée la falaise de Saint-Moré : l'homme préhistorique y avait pensé bien avant. Plus récemment, au début du XIXe siècle, un ancien soldat de l'époque napoléonienne, tisserand de profession, vécut quelque temps dans une cavité située de la Côte de Chair (ou Côte de Chaux), à droite de la route nationale, au-dessus de l'actuel Chalet des Routiers. Sa grotte est aujourd'hui connue sous le vocable de " Grotte du Tisserand ", la 1ère, en venant de St. Moré, d'une longue série, bien connue des sermizelliens: le Tisserand, Leleu, Nermont, la chatière, la cuillère, l'entonnoir, (et si l'on passe sur l'autre rive de la Cure) les fées, le cheval, le renard, le mammouth, et on termine par les grottes commerciales d'Arcy,… etc.

- C'était juste un petit aparté... on reprend !

L'exemple de cet ermite a peut-être inspiré le père Leleu.

Sa grotte à lui se trouve sur la gauche des tunnels routier et ferroviaire, toujours en venant de St. Moré.

- Alice-Almira Liézard. Dans ce cadre on ne peut plus romantique, Leleu invite une compagne de rencontre à venir le rejoindre. En 1887, Alice-Almira Liézard quitte Paris pour Saint-Moré. Coment l'as-t'il rencontrée ? Mystère ! Etait-elle avertie de l'originalité du domicile qu'elle allait trouver ? Celle que Pierre-François Leleu surnommait "la bourgeoise" ne survivra que quatre ans à sa nouvelle existence. Très vite, elle tombe malade, et se couche pour ne plus se relever. Un soir, l'abbé Poulaine lui donne l'extrême-onction.

Il raconte : " Par une tempête de neige, je l'administrai à la lueur des torches et au bruit sinistre du vent s'engouffrant dans la caverne. Un grand-duc, chassé par la tourmente, vint, à ce moment, s'abattre au pied de l'humble couche de la mourante ".

Alice-Almira Liézard décède donc le 3 décembre 1891, à l'âge de 48 ans. Pierre-François Leleu aurait, paraît-il, souhaité enterrer la défunte dans sa grotte : les autorités locales l'en empêchent. Il faut donc se résigner à descendre le corps de la grotte pour le transporter au cimetière du village. " Il a fallu glisser l'humble cercueil au flanc de la montagne ; on n'y est parvenu qu'au prix d'infinies précautions et de rudes efforts ", écrivit à l'époque " La Revue de l'Yonne ". Le bruit courru, plus tard, que la corde s'étant rompue, le cercueil dévala la pente, et s'immobilisa, tout disloqué, au bord du chemin qui longe la Cure. Ce qui semble avéré, c'est qu'une fois le fardeau mortuaire parvenu au pied de la falaise, le transport au cimetière se fit à l'aide d'une brouette. Aucun corbillard ni charrette ne fut mis à la disposition du père Leleu. Les habitants du village ignoraient, voire rejetaient cet original qui menait une existence si différente de la leur. Comment auraient-ils pu deviner que, vingt ans plus tard, il serait leur gloire locale ?

Devenu une vraie vedette, l'ermite a vu défiler pendant une vingtaine d'années, dans sa grotte de Saint-Moré, des foules de visiteurs ébahis. Revenon en Décembre 1891 : Pierre-François Leleu a 55 ans, se retrouve seul dans sa grotte de Saint-Moré après le décès de sa compagne, Alice-Almira Liézard. Il n'a plus de travail : la carrière d'ocre où il était employé comme terrassier a cessé son activité. Ses seules ressources sont les travaux de fouilles qu'il exécute pour l'abbé Poulaine ou l'abbé Parat, prêtres et archéologues, qui s'intéressent aux grottes préhistoriques de Saint-Moré. Les perspectives ne sont guère réjouissantes ! Pourtant, en quelques années, le marginal va accéder à un véritable statut de vedette. Une célébrité qui ne sera interrompue qu'en 1913, par sa mort brutale à 77 ans, dans des circonstances qui restent mystérieuses.
















Yeux vifs surmontant une barbe broussailleuse, crâne dégarni et balafré souvent coiffé d'un chapeau, Pierre-François Leleu a été pendant deux décennies une véritable curiosité, que les Parisiens férus d'archéologie venaient visiter au même titre que le camp de Cora ou les grottes d'Arcy. C'est que, à partir d'éléments de bric et de broc, il s'était composé une image bien au point, avec un étonnant sens de ce que l'on n'appelait pas encore le marketing. Assez instruit pour l'époque, le vieil ermite, sous des dehors frustes, ne manquait certes pas de malice. Peut-être aussi que sa promotion a été prise en main par un homme "avisé", réalisant tout le parti qu'il pouvait tirer de ce personnage pittoresque. Le bruit en a couru, aidé en cela par le florissant commerce de cartes postales dont le père Leleu était le héros, et par la vente de sa biographie parue en 1897 et rédigée par un certain Jho Pale (pseudonyme d'un journaliste clamecycois).











Pittoresque, en tout cas, c'était le mot. " J'ai personnellement eu l'occasion de rencontrer Pierre-François Leleu dans la grotte où il s'était installé, avec tout son environnement, notamment des chiens de garde et, dans des bouteilles, des vipères bien vivantes. Ce refuge était une sorte de bric-à-brac où l'on trouvait, mélangés, les éléments de sa subsistance et des objets d'archéologie découverts dans les grottes ", écrivait en 1971 Marcel Gauthier dans " l'Echo d'Auxerre ". Loin de se tenir à l'écart de l'humanité, l'ermite de Saint-Moré ne demandait pas mieux que de faire visiter son repaire. Moyennant finances, bien sûr ! Il n'était pas rare, racontait Mme Mongellaz dans une communication faite en 1965 à la Société d'études d'Avallon, d'entendre un paysan du coin appeler le vieil homme : " Hé, pé Leleu, e yée un parigot que vourot voie tai grotte, esce qu'o peut monter ? " En s'aidant d'une corde à nœuds, le touriste parvenait à prendre pied dans la vaste cavité, au milieu des chiens et des lapins. Le maître de maison faisait les honneurs du vaste domaine qu'il s'était approprié : " Ma maison, mes rochers, mes champs, ma rivière ", aimait-il à dire. Selon les jours et les visiteurs, il jouait un air de vielle, récitait des poèmes de sa composition, racontait des histoires plus ou moins pimentées. Son grand plaisir était d' épater le bourgeois en lui mettant sous le nez des vipères vivantes qu'il conservait et nourrissait dans des bocaux. Le visiteur, s'il avait le cœur bien accroché, pouvait siroter une bière ou une limonade bien fraîche dans des verres sommairement rincés à l'eau de la Cure. L'amateur d'archéologie était même invité à garder un souvenir de cette étonnante balade en acquérant quelques cartes postales ou la biographie de son hôte et pouvait même repartir (toujours moyennant finances) avec des ossements ou des vestiges préhistoriques trouvés dans les grottes alentour. A l'occasion, le père Leleu - qui s'était autoproclamé " gardien des grottes de Saint-Moré " se faisait guide dans les cavités de la Côte de Chair. Dans la grotte voisine de la sienne, au bout d'un couloir d'une centaine de mètres, il montrait une sépulture préhistorique qu'il prétendait avoir découverte lui-même. Fut ' il un pilleur de cavernes ou précieux auxiliaire de la science ? L'abbé Poulaine, en tout cas, appréciait fort sa collaboration : " Parmi la faune redoutable de ces époques lointaines, dont les restes ont été exhumés par le vieux troglodyte, il faut citer le mammouth, l'ours des cavernes, la hyène, le rhinocéros. De nombreuses sépultures préhistoriques, des vases en terre, en verre, des objets en bronze, des lances gallo-romaines, etc, lui doivent d'avoir revu le jour ". N'empêche que, très vraisemblablement, une partie des découvertes qui ont ainsi revu le jour ont été échangées contre espèces sonnantes et trébuchantes.
















A 77 ans sonnés, le vieux troglodyte semblait se porter comme un charme lorsque survint sa mort brutale, dont les circonstances n'ont jamais été véritablement éclaircies. " La revue de l'Yonne " du 30 janvier 1913 raconte : " Lundi matin, vers 7 heures et demie, M. Momon, épicier à Arcy-sur-Cure, arriva au faîte du cordillon. Il fut salué par les aboiements furieux des quatre chiens du père Leleu et, contrairement à son habitude, le vieillard ne vint point à sa rencontre. Avançant de quelques mètres, il aperçut le père Leleu qui gisait allongé sur le sol humide, les bras crispés, la tête en sang. Fidèle entre les fidèles, la chienne favorite du vieillard, Lisette, était accroupie sur les jambes de son maître. M. Momon n'eut point de peine à se rendre compte que le père Leleu était mort ". Le corps présentait, paraît-il, un trou derrière la tête, ainsi que des blessures profondes aux genoux et aux jambes.

Le parquet d'Avallon fut avisé. Une autopsie fut pratiquée. Gendarmes et justice conclurent à une mort accidentelle : s'approchant au bord de sa terrasse pour satisfaire un besoin naturel, le vieil homme avait pu être pris d'un malaise et tomber dans le vide, se blessant grièvement. Thèse développée en janvier 1913 par " Le Journal de Clamecy " : sans doute assommé par sa chute terrible, le père Leleu n'étant cependant pas mort, serait parvenu à remonter dans sa grotte avant de tomber, épuisé, et de succomber. Selon les conclusions du médecin légiste, la mort survint par une congestion cérébrale causée par le froid.

A côté de cette version officielle, la thèse du meurtre courut aussitôt. Aurait-on tué le père Leleu pour le voler ? Selon certains, le vieil homme était riche. Mais deux montres et une somme d'argent, placées en évidence, n'avaient pas été touchées. A moins qu'il ne s'agisse d'une vengeance ? Un couple de lutteurs forains fut, un temps, inquiété : venus se produire à l'occasion des fêtes du quartier Saint-Gervais, à Auxerre, l'homme et la femme avaient paraît-il fait ripaille avec le père Leleu, le jour même du drame. Cette hypothèse n'eut pas de suite. Depuis, la piste du crime garde ses partisans. Une cinquantaine d'années après les faits, un habitant de Saint-Moré alors âgé de 96 ans déclara avoir vu, le 30 janvier 1913, le cadavre de Pierre-François Leleu dans le bas du sentier.

Mais dans ce cas, qui aurait remonté le corps dans la grotte ? Et pourquoi ?


2 commentaires:

  1. merci Jean-Michel de ce long récit détaillé de l'histoire des grottes, des sarcophages, du père Leleu ... Moi ayant été seulement colon, je ne me souviens plus bien de tout cela mais tu racontes si bien que j'en resté bouche bée et que je m'instruis en même temps. J'adore la mise en musique de nos chansons : il y a un doublké dans la liste : "vivre au fond des bois" s'intitule "chant russe".
    Pour info, Jacques ça va y être, c'est ce week-end qu'il doit être opérationnel, qu'on se le dise !!Bises à tous . Geneviève

    Rédigé par: genevièvedozier

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  2. Je rejoins Geneviève sur la qualité de ton exposé sur le Père Leleu. Bravo et merci pour ta doc. si précise et combien enrichissante. J'ai appris beaucoup sur cette légende qui a été très vivante.
    Bises,
    Gégé

    Rédigé par: Gégé

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