L’Histoire :
Girart a épousé Berthe.
Girart devient donc par son mariage le beau frère de Lothaire 1er.
Eh ! Accrochez-vous ! Allez un p’tit effort, on approche de la fin !
Bon on reprend !
Cette généalogie permet de situer un peu mieux l’époque dont nous parlons. A ce propos, et en aparté, je rappelle que cette dynastie des Carolingiens doit son nom à l’ancêtre direct :
Charles 1er dit le Grand (Carolus Magnus) connu sous le nom de Charlemagne.
Charlemagne et Carloman 1er sont les fils de Pépin dit le Bref et de Bertrade de Laon dite au Grand Pied.
A la mort de leur père, Charlemagne est sacré roi des Francs à Noyon le 9 octobre 768, et le même jour Carloman reçoit l'onction à Soissons. Et, bien entendu ils se partagent le royaume :
Charlemagne reçoit l'ancienne part de son père : la Neustrie, la Bourgogne et l'Aquitaine.
Carloman 1er reçoit celle de son oncle Carloman (fils de Charles Martel et de Rotrude), à savoir l'Austrasie, l'Alémanie, la Thuringe, et les pays tributaires.
On y va ! (je rappelle que là, nous sommes dans l’ Histoire, pas dans la légende ! ).
Lothaire nomme Girart à la tête des comtés de Lyon et de Vienne dont l’ensemble prend le titre de duché de Lyon.
C’est pendant cette période que survient le décès du fils de Girart et de Berthe : Thierry, âgé d’à peine un an et qui est inhumé à Pothières en Bourgogne.
En 855, Lothaire meurt. Son plus jeune fils, Charles hérite de la Provence dont le duché de Lyon forme la limite Nord. (il devient donc voisin de Girart). Mais Charles est jeune, débile et épileptique. Feu le roi son père, Lothaire 1er, a confié son éducation à Girart qui, tout naturellement devient le véritable régent du Royaume de Provence.
En jetant un œil à la carte, on se rend compte de l’importance que prend la possession de Girart, savoir la Bourgogne + la Provence.
En ayant choisit le parti de Lothaire contre celui de Charles le Chauve, Girart ne s’est pas fait que des copains ! Charles le Chauve réussit, par la force, à devenir le maître de Paris, et destitue aussitôt Girart de ses fonctions de comte de Paris pour les attribuer à son frère Alart qui lui est resté fidèle.
On a bien compris que ces deux là, Girart et Charles le Chauve, ne s’aiment pas beaucoup. Et c’est un euphémisme. Le Chauve en veut toujours plus ! En 870, il occupe les environs de Vienne alors que la ville est toujours dans le domaine de Girart. Celui-ci en a confié la garde à son épouse Berthe, pendant que lui-même est occupé à fortifier une autre de ses villes. Charles ordonne le siège de la ville, fait dresser ses tentes sous les murs et organise le pillage général de toute la région.
Prévenu par son épouse, Girart capitule. C’est lui-même qui ouvre les portes de la ville à Charles le Chauve. Finalement, aucune bataille n’a été livrée.
Il est probable que la ville que Girart fortifie, soit suffisamment proche de Vienne pour qu’il ait eu le temps de venir rendre la ville au roi. Or il existe juste au sud de Vienne, un château dénommé Roussillon, dans lequel les historiens situent précisément le repli du comte Girart après la prise de Vienne.
Son épouse Berthe l’a précédé de quelques années et repose déjà à Pothières, en Bourgogne, auprès de leur fils. C’est également là qu’est inhumé Girart, le 11 mars de cette même année. C’est une nécrologie de l’abbaye de Pothières qui le mentionne.
La légende :
Le poète voit dans Girart le héros d'un siège soutenu durant sept ans contre Charlemagne.
Les historiens pensent que cette légende là est viennoise. Vienne, et ses célèbres aqueducs souterrains. L'un d'entre eux emprunte la vallée du ruisseau de Saint-Marcel au sud-est de l'agglomération et dessert, par des canalisations souterraines, les quartiers sud de la ville.
Les neurones du jongleur sont en pleine effervescence … !.
Il imagine les assaillants s’infiltrer dans la ville par des voies d’eau souterraines.
Entre nous, s’il connaît un peu l’histoire de la région, notamment celle du 5ème siècle, il sait que Vienne, qui fut la résidence des rois Burgondes, fut prise par les Francs en 532 suite à une erreur stratégique, et à l'utilisation des ces célèbres souterrains.
Je ne résiste pas à l’envie de vous en raconter une petite bribe : Nous sommes en 532 donc,
« Gondebaud, encercle Vienne avec son armée, et prend la ville par la ruse, suite à une erreur stratégique de son frère Godesil. Gondebaud fait bien sûr assassiner son frère (ben voyons !), et devient le seul maître des possessions Burgondes. Il en profite pour supprimer les nobles qui avaient été fidèles à son frère, et ce dans des tortures cruelles et raffinées ».
C’étaient quant même des sentimentaux ces types là ! Des tendres !
Mais tout ça c’est bien beau ! N’empêche qu’il faut trouver un lien de cohérence, quelque chose qui rend plausible la suite du récit, car ici il n’y a pas de relique de Girart à laquelle puisse s'accrocher la légende.
D’ailleurs, pourquoi le héros est-il Girart, plutôt que Boson (qui est l'exécuteur testamentaire de Girart de Roussillon) roi de Bourgogne, comte de Vienne, d’Arles et de Provence, dont le tombeau est ici, dans la cathédrale Saint-Maurice de Vienne ?
Ben oui, pourquoi ? Je vous le demande …. Tout simplement parce que Girart a toujours fasciné, intrigué … la preuve ! même nous on en parle !
Je prends le pari que, si les chansons de geste étaient encore « tendance », il y aurait à coup sûr un conteur-jongleur pour nous raconter que Girart est le coach de l’équipe de France de foot … si, si … !
Dans une seconde partie de cette geste, on raconte la prise de Roussillon (sans savoir lequel) par le roi Charles, la fuite de Girart vaincu dans la forêt d'Ardenne (on se demande bien pourquoi ?), où il devient charbonnier et sa Berthe couturière, avec comme « bouquet » final, le retour de Girart contre les Sarrasins qui ont, à leur tour pris Roussillon, et sa réconciliation avec le roi.
Vous suivez ? ben ! vous avez de la chance ! Faut dire qu’ils avaient l’esprit un peu tordu nos troubadours. Et le p’tit peuple dans tout ça, qui entend raconter ces histoires, et qui prend ça pour argent comptant ! Imaginez, qu’aujourd’hui la presse nous raconte des trucs pas vrais ….
Toujours dans la geste, Girart (qui soit dit en passant est mort depuis longtemps !), fait une nouvelle migration de Roussillon en Bourgogne châtillonnaise et autunoise.
Et c’est dans cette région, qu’un jongleur-conteur qui a « Girart de Roussillon » dans son répertoire, apprend par les moines de Pothières ou de Vézelay, que « son » Girart est le fondateur de leurs Abbayes, et qu’il est en fait ... un gars du coin !!
La voila la petite goutte qui va faire déborder le vase des élucubrations, et permettre à notre « chansonnier » d’en remettre une couche ! Un petit apport de savoir historico-monastique glissé à l’oreille du trouvère, suffit pour que l'épopée change ses repères géographiques.
Heureusement, le jongleur de la chanson de Vaubeton n'a pas pensé à modifier la toponymie de la légende qu'il transplante telle quelle. Ignorant sans doute le midi pyrénéen et le Dauphiné où il n’a probablement jamais mis les pieds.
Alors son esprit créatif « installe » tranquillement le château de Roussillon au sommet du mont Lassois (entre Pothières et Châtillon-sur-Seine).
Il évoque la rivière qui arrose la plaine de Vaubeton (celle où coule le sang des combattants dans la chanson de Girart de Roussillon), aux abords mêmes de Vézelay, par le nom de l’ Arsen (nom bien connu dans la région Midi-Pyrénées), alors qu’il s’agit de la Cure.
C’est d’ailleurs là, non loin de Vézelay, dans le triangle Saint-Père–Pierre-Perthuis-Fossy lès Vézelay, qu’il décide de mettre en scène la fameuse bataille de Vaubeton, durant laquelle, dit la légende, « Dieu intervint pour séparer les combattants » !
Et cette légendaire bataille « aramie » (dans certains patois : arrangement. bataille convenue entre les adversaires), vient se greffer sur la légende locale de cette bataille de « Vaubouton », dont la tradition orale des vieillards de Saint-Père avait gardé le souvenir encore au 19ème.
Cette légende s’accroche sur le terrain à une ancienne nécropole autrefois appelée « le Martray » (toponyme dérivé de marturetum, ancien cimetière chrétien).
J’ai tracé sur cette carte, un périmètre dans lequel notre jongleur situe la légendaire bataille de Vaubeton. On y retrouve les lieux-dits (soulignés en jaune) : le vau Bouton, les Martrats, (le Martray), et surtout, entouré en jaune, le Poron, (ou le Perron). C’est le fameux bloc de grès qui aurait servi d’observatoire au comte Girart pendant la bataille, et que le poète rattache aux ruines d’un antique château.
C’est ainsi que, parti à la recherche de ce château, René Louis mis au jour le site des Fontaines salées. On pense que les piscines circulaires de cet établissement thermal auraient été prises, par le jongleur, pour les tours d’un antique château fort.
Elle n’était pas facile celle-ci ! J’en conviens.
J’ai voulu mettre l’accent sur la difficulté qu’il y a à appréhender la réalité historique en se fiant à une chanson de geste. Les conteurs, allant d’une région à l’autre, « améliore » leur récit en fonction de ce qu’on leur raconte ici ou là, et en font une interprétation neuve et hautement vraisemblable !
On dit dans ce cas que le poète est un « renouveleur », et que le poème a subi une «amplification», . Or un des procédés fondamentaux de renouvellement utilisé par les jongleurs, est la localisation de l’histoire dans une contrée délimitée (et cette contrée peut changer), que le poète et son public connaissent bien. Tout devient plus simple ! et plus facile à comprendre.
Suite à la prochaine.
Bises à toutes et Tous.
JM.
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